La fourmi argentée du Sahara

Cataglyphis bombycinus est une petite fourmi absolument brillante, dans tous les sens du terme. Son habitat est le désert du Sahara, l’un des endroits les plus chauds et secs de cette planète. Dans la journée, le sable au sol peut atteindre 90°C… Cet environnement extrême a façonné les traits de l’espèce au cours de l’évolution, jusqu’à la rendre magistralement adaptée au milieu désertique.

Groupe de Cataglyphis bombycinus devant l’entrée de leur fourmilière, par
Manuel García-Viñó Sánchez

Cataglyphis bombycinus a un régime bien particulier : ses proies sont des animaux qui gisent au sol, terrassés par l’incommensurable chaleur du désert. Les fourmis sortent donc aux heures les plus chaudes de la journée, pour ramasser les cadavres de ceux qui n’ont pas pu s’abriter à temps. Elles peuvent tracter jusqu’à 50 fois leur poids !

Oui, mais ces fourmis ont un prédateur lui aussi très bien adapté à la chaleur : un lézard, Acanthodactylus dumerili

Acanthodactylus dumerili par Mohamed Mediani

Heureusement, le lézard est juste un tout petit peu moins résistant à la chaleur qu’elles. Lorsqu’à la mi-journée, il n’y tient plus et part s’abriter dans son trou, les fourmis foncent à toute allure pour ramener des proies vers leur fourmilière – une question de minutes avant de succomber à leur tour, car le sable est déjà aux alentours de 70°C…

Scarabée capturé par des fourmis sahariennes, par Bjørn Christian Tørrissen

Pour survivre, les fourmis argentées du Sahara se déplacent très rapidement sur le sol brûlant : elles peuvent parcourir plus d’un mètre en une seconde !! Rapporté à leur taille, elles font donc partie du podium des animaux les plus rapides au monde. De plus, leur température interne peut monter jusqu’à 53,6°C sans dommages, grâce à la sécrétion préalable de protéines qui améliorent la résistance au choc thermique.

Cataglyphis bombycinus est donc l’un des animaux les plus thermophiles, ou thermo-résistants (résistants à la chaleur) du désert du Sahara… Et cela avant tout grâce à sa coloration argentée ! Son apparence bien lustrée est due à de nombreux petits poils qui couvrent son corps :

Illustration de l’article de Willot et al. 2016 (lien vers la légende complète)

Comme vous pouvez le voir sur la première photo, deux classes de fourmis se cotoient chez les Cataglyphys bombicynus : de frêles travailleuses et d’imposantes soldates.

Une étude publiée en 2015 (voir la liste des références en bas de cet article) a démontré le rôle de ces poils dans la résistance à la chaleur des fourmis. A l’aide de minuscules rasoirs (respect pour la minutie de cette équipe…), les scientifiques ont enlevé les poils d’un groupe de fourmis, et les ont comparé à des fourmis non rasées. L’image qui suit, tirée de leur publication, montre bien que la température monte bien plus – de 5 à 10°C – lorsque les fourmis sont rasées, ici au niveau de la tête :

Figure thermodynamique montrant la différence de température d’une tête de fourmi poilue ou chauve, par Norman Nan Shi Yu et Nanfang – Columbia Engineering (2015)

Un an plus tard, une étude approfondie de cette espèce a corroboré les résultats précédents. Les chercheurs ont de plus montré que les poils, de section triangulaire, fonctionnent comme des prismes. Cela permet de renvoyer la lumière du soleil grâce un mécanisme appelé « réflexion interne totale ». C’est comme si les poils agissaient comme autant de petits miroirs, en renvoyant quasiment toute la lumière qu’ils reçoivent : les rayons du soleil ne font ainsi pas monter la température du corps de la fourmi.

Zoom sur les poils de spécimens collectés en Tunisie, observés au microscope électronique à balayage (Norman Nan Shi, Nanfang Yu – Columbia Engineering)

La couleur argentée est donc fonctionnelle, elle permet de réguler la température de la fourmi afin d’augmenter ses chances de survie.

On est bien ici dans le cas d’une couleur « structurelle », et non pigmentaire (pour rappel : le premier article du blog explique la différence). En effet, si l’on mouille les poils avec un mélange d’eau et d’alcool, la coloration argentée disparait complétement ! L’angle de réfraction, qui dépend des matériaux traversés par la lumière, n’est plus le même par rapport à l’air.

Expérience de séchage en vitesse accélérée, par Norman Nan Shi et al. (2015)

Voici une vidéo montrant la coloration qui revient peu à peu, au fur et à mesure que le pelage sèche :

Comme prédit par les chercheurs, ces propriétés remarquables ont inspiré le développement de produits innovants : c’est ce qu’on appelle du biomimétisme (mimer le vivant). Une innovation toute récente a ainsi été publiée le 13 November 2019 : un « architextile » inspiré des poils de la fourmi saharienne, permettant de protéger de la chaleur du soleil. En réfléchissant jusqu’à 90% de la lumière reçue, ce matériau permettrait de faire baisser de 10°C la température de l’objet couvert. Pratique, pour isoler un bâtiment par exemple…

Une dernière spécificité de la fourmi du désert ? Contrairement à moi, elle possède un excellent sens de l’orientation !!!

Rappelez-vous que pour la fourmi du désert, le temps est particulièrement précieux. Elle risque la mort à chaque seconde de trop passée à l’extérieur.

Cataglyphis bombycinus par Arne Kuilman

Lorsqu’elle trouve un cadavre pendant une mission de ravitaillement, pas de temps à perdre en détours ! Si elle suivait simplement à la trace le chemin qu’elle a pris à l’aller, ce serait bien trop long. Elle mourrait sans doute à son tour… La fourmi argentée compte bien rentrer avec son trophée jusqu’à son nid le plus vite possible. Mais comment faire ?

Il faut qu’elle sache exactement à quelle distance et dans quelle direction rentrer vers la fourmilière, en ligne droite. Pour faire ce calcul, il faut qu’elle sache où elle se trouve, donc qu’elle ait enregistré tout ses mouvements de l’aller.

Or, dans le désert du Sahara, le paysage est souvent dénué de repères visuels : c’est une succession interminable de sable, dunes et cailloux plus ou moins semblables. L’angle de ses déplacements, elle le détermine donc par rapport au soleil, un point fiable. Mais reste encore à savoir de quelle distance elle s’est déplacée selon cet angle…

Dunes d’Erg Chebbi, Maroc par Scott Presly

Certains scientifiques se sont demandé si les fourmis utilisaient leur nombre de pas pour estimer la distance qu’elles ont parcourue. Pour tester cette hypothèse, ils ont conçu une expérience incongrue…

Ils ont divisé leur échantillon de fourmis en trois groupes :

– des fourmis aux pattes rallongées par des échasses (!)

– des fourmis aux pattes raccourcies (qui marchent donc sur des moignons… oui c’est cruel !!)

– des fourmis (chanceuses) qu’on a laissées tranquilles : le groupe témoin

Cataglyphis bombycinus courant sur des échasses (Wittlinger et al. 2006). Notez que la vidéo est au ralenti (× 0.5), cette fourmi va déjà à 25 cm/s

Ils ont pu montrer qu’en comparaison du groupe témoin capable de bien se repérer dans l’espace, les fourmis marchant sur moignons sous-estiment les distances, et les fourmis sur échasses surestiment les distances. Il semblerait donc que leur hypothèse est validée : les fourmis se repèrent bien en « comptant » leur nombre de pas (dont elles connaissent la longueur) !

Ces fourmis ont donc une représentation mentale très complexe de leurs mouvements et de leur positionnement dans l’espace…

Et enfin, pour voir les fourmis argentées du Sahara en action (attention, drame et suspense dans la vidéo qui va suivre) :


Reportage « Silver Desert Ant » de la BBC, narré en anglais par le célèbre David Attenborough. (5 petites minutes suivies d’un making-off)

Sources :

Shi, N. N., Tsai, C. C., Camino, F., Bernard, G. D., Yu, N., & Wehner, R. (2015). Keeping cool: Enhanced optical reflection and radiative heat dissipation in Saharan silver ants. Science, 349(6245), 298-301.

Wang, Y., Shang, S., Chiu, K. L., & Jiang, S. (2019). Mimicking Saharan silver ant’s hair: a bionic solar heat shielding architextile with hexagonal ZnO microrods coating. Materials Letters, 127013.

Willot, Q., Simonis, P., Vigneron, J. P., & Aron, S. (2016). Total internal reflection accounts for the bright color of the Saharan silver ant. PloS one, 11(4), e0152325.

Wittlinger, M., Wehner, R., & Wolf, H. (2006). The ant odometer: stepping on stilts and stumps. science, 312(5782), 1965-1967.

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